La vision de Claudia, artiste peintre vivant avec une déficience visuelle

Jusqu’au 31 décembre 2023, l’artiste Claudia Nigrelli invite la population à visiter le Presse Café de Chambly pour y découvrir son exposition de 19 toiles uniques. Vivant avec un trouble de la vision, elle carbure au dépassement de ses limites.

C’est à l’âge de sept ans que Claudia Nigrelli reçoit le diagnostic de rétine pigmentaire, une maladie dégénérative entraînant une perte de la vue pouvant être totale. Aujourd’hui, Mme Nigrelli ne perçoit que les ombrages et la lumière. « Je vois la couleur mauve, aussi! », ajoute-t-elle d’un ton enjoué.

Le discours de la jeune femme de Belœil laisse transparaître son désir de ne pas laisser sa condition l’empêcher de faire ce qui la passionne. Sa devise, « La vue est limitée, la vision est illimitée », est un rappel de ne pas se limiter à une fonction. « Ça a élargi ma façon de profiter [de mes autres sens et de la vie]. La vision, c’est plus que la vue, ça représente tes buts. Et ça, c’est illimité », affirme l’artiste.

Deuil 

Tout de même, malgré son optimisme, Mme Nigrelli admet avoir vécu un gros deuil qui continue de se manifester dans sa vie, puisqu’il s’agit d’une maladie dégénérative. « J’ai mes mauvaises journées. Je suis toujours dans le réapprentissage et dans l’acceptation, admet-elle. J’ai toujours aimé peindre, depuis que je suis toute jeune, j’ai toujours aimé me salir les mains », raconte l’artiste. Dès son plus jeune âge, elle expérimente avec plusieurs styles de peinture en suivant des cours. De façon graduelle, elle constate la dégénérescence de sa vue jusqu’à la confirmation de ses craintes par son diagnostic. « Ça devenait très difficile de peindre. »

Il y a dix ans, au moment où sa déficience visuelle atteint un stade assez sévère, elle décide de se départir de son matériel de peinture et abandonne sa passion. « Je ne pouvais pas concevoir [le fait] qu’une personne non voyante puisse peindre », se remémore-t-elle.

L’artiste réalise ensuite que son pouvoir réside dans ce qui la rend unique. Elle utilise ensuite son histoire pour motiver les gens en tant que conférencière : « Pour moi, c’est un peu un devoir que je me suis donné d’inspirer les gens [pour leur prouver] que tout est possible. » Mme Nigrelli remarque qu’elle est la personne responsable de se donner les moyens de vivre pleinement. « Il y a eu un moment où je me suis dit que si moi, je ne le fais pas, personne ne le ferait à ma place », témoigne-t-elle.

« La vue est limitée, la vision est illimitée. » – Claudia Nigrelli

Démarche artistique 

C’est en cherchant une façon de s’occuper lors de la première quarantaine de la pandémie que Mme Nigrelli décide de reprendre ses outils et de s’attaquer à la confection d’une toile. « J’ai mis ma première toile en exposition sur [mes médias sociaux] et j’ai eu une offre pour me l’acheter. » À ce moment-là, l’artiste n’avait pas l’intention de vendre ses œuvres. « Ça a un peu déclenché [ma réflexion comme quoi] je pouvais réellement recommencer à peindre. »

« Il fallait que je me remette en question constamment », souligne l’artiste. « Je ne pouvais pas faire exactement ce que je faisais avant. » C’est ainsi qu’elle se tourne vers un style un peu plus abstrait et qu’elle choisit de miser sur l’ajout de textures. « Je colle des choses sur mes toiles. Ça me donne une idée grâce à l’effet de 3D en touchant la toile. » L’artiste peintre puise son inspiration de la nature, un thème qu’elle trouve apaisant et qui lui donne beaucoup de liberté.

Accessibilité

Claudia témoigne de l’importance d’avoir accès à des ressources et à des services adaptés pour les personnes vivant avec une déficience visuelle. Cette sensibilisation du milieu concernant l’adaptation de divers environnements, elle en fait même un métier en tant que consultante en accessibilité pour des entreprises. Elle travaille aussi actuellement avec la Ville où elle réside pour implanter des signaux sonores aux feux de circulation.

« Souvent, quand on n’est pas affecté par la non-voyance, on ne s’en rend pas compte. Ce sont des choses que les gens tiennent pour acquises, et c’est normal. Pour moi, c’est un devoir [d’exprimer] mes besoins », souligne Mme Nigrelli. L’artiste continue de trouver des stratégies pour ne pas se limiter dans ses activités. Notamment en étiquetant ses instruments et pots de peinture avec des indications en braille.

Elle témoigne ensuite de son progrès, constaté depuis l’arrivée d’Irwin dans sa vie, son chien guide, et remarque le caractère essentiel de ce genre de service pour les personnes non voyantes. « Il a changé ma vie », déclare-t-elle.  

Mme Nigrelli conclut en ajoutant une mention spéciale aux milieux inclusifs qui lui permettent de transmettre son message et son art. Elle considère que la sensibilisation de la population à la réalité des personnes non voyantes est possible grâce à ceux qui font preuve d’ouverture, comme « la propriétaire [du Presse Café de Chambly], Samahara [De Los Santos], qui se fait une mission de faire en sorte que tout le monde se sente accueilli » et qui lui permet d’exposer ses toiles gratuitement, remarque l’artiste.