Une année en première ligne

L’urgentologue carignanoise Mélissa Ranger a vécu cette année de pandémie en première ligne.

La médecin avait été l’une des premières à tomber au combat. Après dix jours d’hospitalisation, elle avait obtenu son congé le 8 avril. « La COVID-19 débutait. On voyait que l’on pouvait en décéder assez rapidement. Donc, quand j’ai su que je l’avais contractée et que sur le plan respiratoire, ça s’est détérioré, j’ai vécu beaucoup d’anxiété », se remémore Dre Ranger, qui confie avoir vécu de l’angoisse lors de son séjour à l’hôpital.

Une fois remise sur pied, elle est allée prêter main-forte au CHSLD Henriette-Céré, à Saint-Hubert. « Si l’on se souvient bien à ce moment, il n’y avait plus de préposés, il n’y avait plus d’infirmières et les personnes âgées décédaient pratiquement de déshydratation. C’était paniquant, car c’était complètement déserté pour environ une centaine de patients. On se dépêchait à faire la tournée, à les abreuver, etc. La semaine où j’étais présente, ç’a flambé, tout le monde a eu la COVID. De mémoire, nous avons atteint 50 % de mortalité chez les usagers du centre. » Après ce court segment, Dre Ranger a été réaffectée à l’urgence.

Changement au ministère de la Santé

En juin dernier, en prévision de la seconde vague, François Legault avait procédé à un remaniement ministériel. Christian Dubé avait succédé à Danielle McCann à titre de ministre de la Santé et des Services sociaux. « Je suis satisfaite de la façon dont la crise a été gérée dans la cellule de crise gouvernementale, que ce soit Mme McCann ou encore M. Dubé. Je trouve que depuis le départ, ils ont démontré beaucoup de leadership et ont pris les devants. Ils ont été présents et à l’écoute. Évidemment, ils n’ont pas pu satisfaire tout le monde, mais je leur lève mon chapeau dans ce contexte de crise, tant au départ que maintenant », compare l’urgentologue.

« Ça fait des années que l’on vit des achalandages monstres que le système a de la difficulté à accueillir; que l’on vit des congestions, en ce sens que des patients n’ont pas de lits à l’étage, donc ne peuvent être hospitalisés, causant un refoulement à l’urgence. » – Dre Mélissa Ranger

Un forfait pour la réaffectation

Alors que la crise s’installait sans gants blancs, des médecins spécialistes, comme Mélissa Ranger, ont dû temporairement changer de tâche pour lutter contre le virus. La question liée à la facturation avait suscité un débat. « Notre facturation avait été revue, car nous étions réaffectés à l’étage médical. Exemple, il y a des chirurgiens qui ne pouvaient plus opérer alors ils pouvaient être réaffectés à la santé publique. Il y a donc eu un forfait COVID d’établi, et au moment où cela est sorti, il y avait de la confusion à savoir ‘’si nous allons aider dans les CHSLD en guise de bras supplémentaires pour les infirmières et les préposés, le forfait en question sera-t-il appliqué?’’ Dans la compréhension de certains médecins, ça allait s’appliquer, mais ce n’était pas clairement dit. C’est là que l’on trouvait ça honteux d’aller aider un système en pleine crise et de facturer jusqu’à 2 500 $ par jour en cette situation critique. C’était un appel à aller aider », décrit celle qui est spécialiste en médecine d’urgence depuis une dizaine d’années. Dans les jours qui ont suivi, il avait été distinctement dit que le forfait ne s’appliquait pas pour les réaffectations non médicales, donc pour les gens qui sont allés aider en CHSLD.

Un système de santé dépassé

Avant la crise, le système de santé québécois était déjà critiqué. Avec l’ajout de la COVID-19, comment est-ce ressenti de l’intérieur? « C’est horrible, la situation dans les urgences depuis plusieurs années. La COVID-19 n’a pas aidé, bien entendu. Ça fait des années que l’on vit des achalandages monstres que le système a de la difficulté à accueillir; que l’on vit des congestions, en ce sens que des patients n’ont pas de lits à l’étage, donc ne peuvent être hospitalisés, causant un refoulement à l’urgence. Nous manquons donc d’espace pour évaluer les patients en plus du manque de personnel. Il y a une hémorragie de personnel, car c’est très demandant et ils ne peuvent viser un équilibre avec leur famille. On n’a qu’à penser aux infirmières qui font du temps supplémentaire obligatoire et des heures sans fin. On manque de personnel avec expérience, on n’arrive pas à retenir nos gens. Le système des urgences, ça fait des décennies que ça ne va pas bien. On pourrait construire un hôpital entre Pierre-Boucher et Charles-Lemoyne et il serait plein, tellement que ça déborde de partout », synthétise la médecin qui travaille pour un système « qui a de la misère à répondre à la demande ».