Elles étaient sept

Malgré l’engagement des centres pour femmes de Chambly, tels que la Maison Simonne-Monet-Chartrand (SMC) et Ainsi soit-elle, la violence conjugale perdure comme l’un des fléaux encrés dans l’épiderme social, tel un tatouage indélébile.

Sept féminicides en sept semaines, c’est le bilan qu’ont tracé la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault, ainsi qu’Isabelle Charest, ministre responsable de la Condition féminine, lors du point de presse du 24 mars. « Nous ne sommes même pas dans le déconfinement encore et les besoins sont plus criants que jamais, révèle Hélène Langevin, directrice générale de la maison d’hébergement SMC. Des femmes vivent l’horreur actuellement. »

« Depuis le début de la pandémie, nous avons une hausse marquée des demandes d’aide, particulièrement en violence conjugale, en santé mentale et en ce qui touche la DPJ. Et ce sont souvent des jeunes femmes », nuance Josée Daigle, directrice du Centre pour femmes Ainsi soit-elle.

« Le mot ‘’féminicide’’, ce n’est pas compliqué : c’est une femme qui est tuée parce qu’elle est une femme. » – Hélène Langevin

Maison deuxième étape

Des efforts sont déployés à Chambly afin que la municipalité se dote d’une maison de deuxième étape. Le rôle de ce type d’établissement est « d’aider la femme à reprendre cours à la vie normale avec un accompagnement de la part de l’équipe de la Maison SMC, dans un logement sécurisé. À la suite de son séjour en hébergement en moment de crise, l’autonomie et la stabilisation du parcours sont visées à cette seconde étape. »

« Depuis 2015, on travaille sur le développement d’une maison de deuxième étape. C’est extrêmement compliqué de la part de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) et de la Société d’habitation du Québec (SHQ), notamment pour être en mesure de débloquer des fonds pour bâtir des logements sécuritaires […] c’est un projet de plus de 5 M$. Il faut aller chercher de l’argent des différents paliers gouvernementaux. Si l’on se fie à ce qui se passe actuellement, ça ne verrait même pas le jour avant les dix prochaines années. C’est comme ça, avec les structures gouvernementales. Le résultat est que l’on voit des femmes se faire assassiner, car nous ne sommes pas en mesure de leur proposer des unités sécuritaires. On ne sait plus quoi faire. La maison SMC est pleine à 100 % de sa capacité » affirme, sur fond de dépit, Hélène Langevin.

La mairesse de Chambly, Alexandra Labbé, mentionne que « la Ville collabore avec la Maison SMC à ce projet. Ce n’est pas évident, car les projets de logements sociaux, c’est la CMM qui en détient les compétences. La raison est que, dans le grand Montréal, certaines villes avaient des réticences à accueillir des projets de logements sociaux sur leur territoire, créant des inégalités entre les villes. Ainsi, toutes les villes mettront la main à la pâte et fourniront des sous à un grand fonds en logement social. Ensuite, les villes se doteront de règlements pour accéder à ce fonds. Nous en sommes à cette étape », décortique-t-elle administrativement.

Enrayer le fléau

Aux dires des gens sur le terrain, « le fléau s’exacerbe ». Comment atteindre la tête du monstre?
« Je suis obligée de vous dire que l’on n’a pas vraiment d’initiative gouvernementale qui est à ce point aidante. Juste à penser au soutien psychologique et que les gens puissent exprimer leur détresse de façon autre que de taper sur quelqu’un. Je souhaiterais que chaque humain puisse travailler sur sa propre violence et qu’il cesse de l’offrir aux autres », entrevoit Mme Langevin.

« Le rôle d’une Ville est terriblement limité, admet Alexandra Labbé. En appuyant nos organismes du milieu sur le territoire, on a un beau levier d’implication. Avec le siège que nous occupons à la régie de police, on a un certain input à donner pour faire passer des priorités. C’est un enjeu préoccupant. À travers ça, on participe à certaines campagnes de sensibilisation », ajoute-t-elle.

Comment aider?

Malgré de nobles intentions, il peut être délicat d’aider une femme qui vit de la violence conjugale. Poser le bon geste afin de contribuer à sa sécurité et à son intégrité sans faire en sorte que l’action se retourne contre la victime est à réfléchir. « Comme citoyen, nous avons une responsabilité. Le réflexe de se demander si l’on va empirer la situation est bon, mais il faut faire confiance aux policiers, qui, eux, sont de plus en plus sensibles à ces situations. Sur les lieux, ils travaillent avec les deux personnes et donnent du soutien. Entre ça et voir votre voisine décédée dans le journal le lendemain dû à l’inaction… je ne suis pas certaine que ce soit un poids que vous voudriez porter. On accompagne, sensibilise et outille également en entreprise, particulièrement lors d’une perte d’emploi faisant en sorte que la victime se retrouve entre les mains de son agresseur à temps plein. Comme homme, si vous avez des chums de gars où des gens dans votre environnement qui traitent mal leur blonde, vous avez un pouvoir par le lien que vous établissez avec cet ami. C’est le moment de lui dire que ça n’a pas d’allure et de le diriger vers des ressources aidantes », met en lumière la DG de la Maison SMC.

De crime passionnel à féminicide

S’il a été fréquemment lu ou dit ‘’crime passionnel’’ quand un homme tuait la femme qui l’accompagnait dans sa vie, le mot ‘’féminicide’’ commence à prendre sa place à titre de juste portrait afin de nommer la réalité. « C’est un mot nouveau. Des gens vont l’associer à féminisme. Il y a une incompréhension. Le mot ‘’féminicide’’, ce n’est pas compliqué : c’est une femme qui est tuée parce qu’elle est une femme. Culturellement, nous sommes en train de nous approprier ce type de langage qui va directement au point. Il y a quelques années, on entendait ‘’chicane de couple’’, ‘’crime passionnel’’, on détournait par peur d’affirmer trop directement. Quand on voit dans le journal que la femme a été assassinée par son conjoint ou son ex, c’est clair pour nous que c’est un féminicide. Plus le mot circule, plus on est précis et clair sur la situation », recommande la chef d’orchestre de la Maison SMC.

En terminant, Hélène Langevin « encourage les femmes, même si les maisons d’hébergement débordent, à utiliser les services pour elles, ne serait-ce, à tout le moins, que pour une écoute téléphonique permettant de briser l’isolement et pour mettre en place des scénarios de protection ».