De retour du Qatar avec l’équipe canadienne de soccer, Yannick Girard, l’un des deux préparateurs physiques de l’équipe masculine du Canada, un résidant de Chambly, a répondu à nos questions.
C’est quoi, un entraîneur de performance physique?
Le terme plus coutumier, c’est plus préparateur physique. Pour préparer physiquement un athlète. Avec Équipe Canada, je suis responsable de la performance physique parce que ça englobe beaucoup de domaines, que ce soit la nutrition, la récupération, la réathlétisation s’il y a une blessure, ça va très loin. Mon objectif est de savoir comment gérer l’athlète 24 heures sur 24, que ce soit sur le terrain ou en dehors. Et comme avec l’équipe nationale, on voyage beaucoup et on vit avec les athlètes, le plus gros du travail se fait à l’extérieur.
Vous connaissez donc tous les athlètes de manière individuelle?
Ils partagent avec nous ce dont ils ont besoin et, en même temps, on leur inculque ce dont ils ont besoin aussi en fonction de nos connaissances scientifiques. C’est un mélange des deux. En plus, on a des athlètes qui viennent d’un peu partout dans le monde. Donc, les habitudes ne sont pas les mêmes. C’est vraiment connaître son athlète dans la meilleure situation pour qu’il performe.
Quel est votre parcours pour en arriver à être présent avec l’équipe canadienne au Qatar?
J’étais avec l’Impact de Montréal. J’ai créé l’Académie en 2011, et en 2016 je suis monté avec l’équipe en MLS. J’ai fait deux ans avec eux. Alors que j’étais à l’arrêt, rapidement, Équipe Canada m’a appelé, car ils étaient sur un nouveau cycle, avec un nouvel entraîneur. On m’a appelé et l’aventure a commencé en 2018, il y a quatre ans, avec l’objectif, plus ou moins secret, de participer à la Coupe du Monde de soccer. L’entraîneur était certain d’y aller. Moi, j’avais un peu plus d’inquiétude, car je ne connaissais pas encore l’environnement. Et puis on a travaillé pendant quatre ans pour en arriver là. Il y a eu un changement complet de philosophie, un état des lieux du soccer canadien et c’est comme ça que l’on a réussi à faire une grosse qualification en finissant premier, ce qui n’était jamais arrivé, et un retour en Coupe du Monde 36 ans après.
Cette expérience peut-elle nous laisser optimistes pour la suite?
On savait que l’on avait trois équipes de très haut niveau. Donc, cela a été un challenge très difficile. Au premier match, après avoir vu ce que l’on a fait, on a dit que l’on était à notre place. On a eu un peu de déception, parce que l’on est persuadés que l’on aurait pu gagner. Après, la Croatie nous a remis un peu à notre place. Cette équipe a une qualité de confiance et de sérénité incroyable. Pendant tout le match, je n’ai jamais senti un joueur qui était en panique. Pour moi, c’était impressionnant de voir ça. C’est un bon apprentissage pour nous. Contre le Maroc, c’était aussi un excellent match qui aurait pu finir à égalité.
Vous, comment avez-vous vécu cette expérience?
Moi, je ne suis pas sur le banc. J’ai mon adjoint qui est sur le banc avec les données GPS. Moi, je suis plus dans la gestion des transitions quand ils reviennent à la mi-temps dans les vestiaires, ce dont ils ont besoin. Moi, je cours un peu partout, mais je suis très proche du joueur pour avoir le ressenti qu’il a sur le terrain. Le but d’Alfonso Davies, je n’y étais pas. Il a marqué trop vite, j’étais encore dans les vestiaires. Alors, parfois, il y a de petites frustrations.
Quel est le plus beau moment de cette aventure, de la sélection jusqu’au Qatar?
Le jour où l’on s’est qualifiés contre la Jamaïque, à Toronto, j’en ai profité. J’ai triché un peu. Je suis allé un peu moins dans les vestiaires, j’étais un peu plus dans les estrades et même sur le terrain à un moment donné. C’était le plus beau moment de ce parcours pour la Coupe du Monde, car c’était une concrétisation de tout ce que l’on avait préparé, mais j’ai l’avantage d’être tellement proche des joueurs que j’ai de petits moments intimes, on va dire, de ce qu’ils ont ressenti. Et il y a plein de petites histoires qui sont très belles, en fait. Mais c’est sûr que ce dernier match, c’était la concrétisation. J’avais ma famille qui était là, ma petite fille était là, cela m’a plus touché. On a vraiment vécu ces 48 heures de fou! C’était un grand moment.
À la fin de la Coupe du Monde, les joueurs n’étaient pas trop déçus?
On leur a demandé de vivre pleinement l’expérience, mais forcément, il y a eu de la déception avec trois résultats négatifs. On a essayé de leur faire comprendre qu’une part de l’objectif a été accomplie. On a marqué un premier but et on a montré au monde entier que Canada Soccer existe et qu’il sera là maintenant pour chaque Coupe du Monde. Ça, ils en sont fiers. Mais en tant que professionnel et compétiteur, tu ne peux pas être à 100 % heureux quand tu perds trois matchs. C’est la même chose pour le staff.
L’équipe canadienne était-elle vue comme l’équipe Cendrillon de cette Coupe du Monde avec le Qatar?
Oui, et même après le Qatar, car le Qatar avait un groupe facile. Par rapport à la vision des gens, on nous mettait vraiment en dernier, car ils ne nous avaient pas vus depuis quelques années. Par contre, ils connaissaient quelques joueurs de l’équipe. Quand les équipes ont vu le tableau des groupes, elles ont commencé à analyser et certaines voyaient peut-être le Canada faire une surprise. Quand on voit le résultat, on peut dire maintenant que l’on était dans un des groupes les plus difficiles. Cela réconforte un peu de dire que l’on a bien performé face à deux des quatre meilleures équipes au monde actuellement.
Vous êtes tout le temps sur la route?
Oui. On est des spécialistes des hôtels. Cette année j’ai fait 108 jours à l’extérieur, car je m’occupe des jeunes équipes masculines aussi à partir des U15, c’est beaucoup de voyage. Je vis les deux tiers du temps à la maison, le reste en voyage.
Votre quotidien à l’entraînement, c’est quoi, concrètement?
À partir du moment où ils se lèvent jusqu’au moment où ils entrent sur le terrain pour l’entraînement, on analyse leur état de forme chaque matin. On analyse l’urine pour connaître l’hydratation, qu’est-ce qu’ils vont manger, est-ce qu’ils ont bien dormi? Pas mal de questionnaire. On va au gym pour faire l’activation, on fait un suivi du repas pour être certains que le repas est adéquat en termes d’énergie nécessaire à l’entrainement, et puis dès qu’ils arrivent au stade, encore une fois, il y a une activation avant l’entraînement, individualisée. Après, il y a un échauffement. Le plus gros travail est en dehors du terrain, surtout que l’on est très individualisés.
Que récupérez-vous comme données grâce aux capteurs placés sur de petits gilets que les joueurs portent?
On peut regarder les fréquences cardiaques et grâce au GPS, on peut voir des informations de vitesse, de distance, d’explosion, d’accélération, de décélération. On peut avoir des centaines de données, alors on sélectionne ce dont on a besoin. Cela nous permet de calculer le volume et l’intensité du joueur. On sait ce que l’on recherche à l’entraînement. Donc, en direct, on peut suivre l’évolution de l’athlète. Cela nous permet de mieux gérer les charges de travail.
Pourquoi avoir choisi Chambly?
En fait, il n’y a pas de raison officielle. J’ai juste trouvé cette ville jolie quand j’ai visité. Avant j’étais à Montréal, quand j’étais avec l’Impact. Quand j’ai commencé avec Canada Soccer, je pouvais travailler de chez moi. Donc, j’ai cherché à quitter Montréal et j’ai vu Chambly. Je pouvais m’installer où je voulais.
Aujourd’hui, c’est repos forcé?
C’est une pause après la Coupe du Monde. En février, j’irai au Guatemala avec les U17 masculins pour une qualification aussi. C’est la nouvelle génération. Il faut que j’apprenne à les connaître individuellement. Pour les plus jeunes, c’est plus difficile, car ils sont dans leur club respectif et il y a moins d’outils pour partager leurs données. Donc, quand on les reçoit, il faut tout recommencer à zéro.
Comment vous préparerez-vous à la Coupe du Monde de 2026, qui se passera au Canada, aux États-Unis et au Mexique?
On a déjà commencé à se préparer. On se prépare avec l’apprentissage que l’on vient de faire au Qatar avec la gestion des hôtels, des centres d’entraînement. On va essayer d’optimiser ça encore plus, donc on va faire des recherches de ce qui est le mieux pour nous. Après, on ne décide pas où on va jouer. Il y aura deux stades au Canada, Toronto et Vancouver. À Montréal, le stade Saputo est trop petit, et le stade olympique n’est pas adapté pour la Coupe du Monde. Il faudra savoir où l’on devra s’entraîner. Cela se décidera au dernier moment. Donc, il faudra travailler sur plusieurs options pour être prêts le jour J. Après cela, il faudra gérer le développement des joueurs. Il y en a très peu qui vont arrêter d’ici 2026. On est une équipe très jeune, c’est très prometteur. On était l’une des équipes les plus jeunes à la Coupe du Monde. C’est un avantage pour dans quatre ans.
Y a-t-il déjà un objectif pour dans quatre ans?
On n’en a pas parlé encore, mais c’est sûr que l’on veut aller plus loin. Donc, une première victoire déjà, et puis une qualification pour le deuxième tour obligatoire. Ça va être nos deux objectifs minimaux, on va dire. On aura le public avec nous, on aura beaucoup plus d’expérience, on aura de nouveaux joueurs avec plus d’expérience. Déjà, tous nos gros joueurs sont en train de monter de niveau dans les transferts.
C’est un inconvénient pour vous d’avoir des joueurs internationaux?
Non, c’est mieux. Nous, on a besoin, sans les pousser, que nos joueurs performent face aux meilleurs joueurs du monde tous les week-ends. Malheureusement, s’ils restent en MLS, on est dans une sorte de deuxième niveau, sans vouloir être négatif. On ne peut pas avoir des joueurs bons en Coupe du Monde en affrontant les meilleurs joueurs du monde s’ils ne les affrontent pas. Quand on parle d’Alphonso Davies, tous les WE, il affronte les meilleurs, c’est donc pour lui plus facile de s’adapter et de performer. Koné, il y a deux ans, il jouait contre Montréal-Nord et là, il a joué contre Modrić, qui est l’un des meilleurs joueurs au monde. C’est impensable. C’est bien, mais si on veut aller plus loin, il faut que tous nos joueurs se confrontent le plus souvent aux meilleurs.
Regardez-vous leurs matchs au sein de leurs clubs respectifs?
Cela fait partie d’une grosse partie de mon travail. Chaque WE, je fais le bilan de tous mes joueurs internationaux. Soit je vois les matchs, s’il se passe quelque chose, on le contacte pour savoir ce qui s’est passé. On est aussi proches des préparateurs physiques de chaque club, des médecins. Au moindre petit pépin, ils nous appellent une demi-heure après. On est, une fois par semaine, en contact avec le joueur. Il y a un réseau avec les clubs qui s’est créé. Comme je viens de France, il a été facile de connecter avec les clubs européens. Nous sommes devenus amis avec le préparateur physique de Monaco, de Lille, de Troy, de Bayern Munich… C’est intéressant, car on partage nos expériences, nos connaissances et on s’adapte par rapport à ce que l’on propose.
Dans quatre ans, vous serez là?
Un gros objectif pour moi serait que les jeunes fassent les JO. Pour la Coupe du Monde, on y est déjà. Donc, le processus sera plus normal, on prendra plus de temps, cela sera moins stressant. La Coupe du Monde a vraiment fait que l’on est devenus une famille. Pendant les Fêtes, je vais passer mon temps à dire bonjour à tout le monde. Il y a une relation amicale qui s’est instaurée avec les joueurs. Si, demain, je vais en Europe et que je ne passe pas par le Portugal ou encore la France, je vais me faire gronder, car il faut que je passe leur dire bonjour. Cette proximité est due à mon poste. C’est différent de la réalité d’un entraîneur-chef. Pour moi, avec les joueurs, c’est plus facile.
Comment se porte le soccer en général au Québec, pour vous, à la base?
Je regarde un peu ce qui se passe dans les clubs amateurs. Canada Soccer s’occupe aussi du développement de ces clubs. En ce moment, il y a une grosse mutation avec la création de licences nationales, provinciales et régionales. Je garde donc un œil là-dessus. Comme pour les clubs nationaux, cela leur impose certaines normes physiques et médicales qui correspondant presque à celles d’un club professionnel. On est sur une très bonne lancée. Beaucoup de développement avec la Canadian Premier League a été créé il y a trois ans maintenant, et ça marche très bien. Il y a un bon niveau. Les filles qui vont entrer dans une ligue canadienne en 2025. On est vraiment dans une très bonne période. Dans les prochains quatre ans, il n’y a pas de raison que cela n’explose pas dans tous les sens, pour les filles et les garçons.