Dans le triangle noir

L’animatrice-journaliste à Radio-Canada, Johane Despins, a vécu la « crise du verglas » de 1998 dans une municipalité particulièrement écorchée par la pluie verglaçante, Marieville.

C’est toute une pendaison de crémaillère qui attend Johanne Despins en 1998. Cela ne fait que deux semaines qu’elle s’est installée avec sa famille à Marieville. Accompagnée de son conjoint et de leurs jumeaux âgés de 2 ans, elle quitte le centre-ville de Montréal. Les branches sont gorgées de givre. Témoin de la lumière qui transperce l’accumulation d’eau glacée, c’est l’émerveillement qui habite initialement la Marievilloise. Face à ce nouveau tableau, elle vit « l’extase » et immortalise le paysage de quelques photographies.

C’est la première journée de garderie à vie des enfants de celle qui coanime l’émission L’épicerie depuis 2008. Après les avoir déposés, le téléphone sonne, c’est la garderie qui rappelle pour annoncer la panne de courant. Hydro-Québec confirme que l’interruption d’électricité sera longue. Les enfants doivent quitter les lieux.

Les heures avancent et une centaine de millimètres de pluie verglaçante s’abat sur ce que l’on a appelé le triangle noir, encadré par Saint-Jean-sur-Richelieu, Granby et Saint-Hyacinthe. 

Tisser des liens

La mère de Mme Despins prend l’autobus de Trois-Rivières et vient chercher les enfants. Là-bas, l’électricité perdure. Les jours se suivent et se ressemblent. Le couple nouvellement marievillois fait connaissance avec le voisinage. Tous sont dans le même bateau. À travers l’inquiétude, un élan de solidarité s’installe. Ceux qui ont des foyers accueillent. Les génératrices circulent d’une adresse à l’autre. Au fil du temps, les gens doivent quitter Marieville, devenue zone critique. La police effectue des rondes afin de s’assurer que la consigne soit respectée.

« Nous, ce sont des branches qui tombent. Eux, ce sont des bombes. » – Johane Despins

Professionnellement historique

Johane Despins travaille alors à Montréal sur l’émission culturelle hebdomadaire De bouche à oreille. L’animatrice « s’entête » à faire l’aller-retour entre la Métropole et Marieville alors que la menace der fermer les ponts plane. Radio-Canada n’est pas touché par les pannes de courant. Le boulot se poursuit. « Tout le monde voulait juste travailler pour l’urgence de la situation. Tout le monde s’entraidait pour les nouvelles. Tout était arrêté, tout était sur la glace, sans mauvais jeu de mots », exprime Mme Despins qui, à ce moment, voit moins la pertinence d’une émission culturelle en ce contexte unique.

Entre collègues de l’information, la prise de conscience du caractère historique du moment s’installe. « On n’avait pas connu quelque chose qui pouvait toucher environ la moitié du Québec. Quelque chose qui nous a plongé dans la peur, dans la crainte », relate celle qui répond au journal nichée dans le bois, au nord de la Mauricie. Elle se souvient aussi simultanément de l’adrénaline vécue par les journalistes engendrée par le défi de « faire fonctionner une salle de nouvelles ». 

Les Rolling Stones s’en mêlent

Parallèlement, le conjoint de Mme Despins travaille sur un contrat peu banal. Il a le mandat de préparer la nourriture qui alimentera ni plus ni moins que les Rolling Stones ainsi que leurs équipes techniques. Le groupe mythique doit se produire au Stade Olympique une semaine plus tard, le 11 janvier. Éventuellement, le spectacle sera annulé mais il n’est pas possible de l’annoncer une semaine avant.

Pour fins d’assurance, la production alimentaire s’opère tout de même. Mick Jagger n’y goutera toutefois jamais. Au bout du compte, elle servira plutôt à nourrir la population marievilloise entassée dans un gymnase d’école ou à l’aréna.

Ce qui en reste

Les sons de l’armée portant renfort marque Johane Despins, les voix, les scies mécaniques, les branches qui tombent. « Je n’arrêtais pas de penser aux gens qui vivaient la guerre. Nous, ce sont des branches qui tombent. Eux, ce sont des bombes », met-elle en perspective. Elle sait qu’un climat plus clément fera surface à nouveau et les Québécois retrouveront leur réalité. « Étonnement, je me disais que, malgré tout, on est privilégiés », conclut la femme à ce sujet.

Johane Despins au Bye Bye 2022

Myriam Fehmiu s’est joint à l’équipe de L’épicerie à l’automne 2022 à titre de journaliste-animatrice. Elle a remplacé Denis Gagné qui a tiré sa révérence après 20 ans à la coanimation de l’émission. Le duo classique Despins-Gagné a été personnifié, peut-être pour une dernière fois, dans un sketch du Bye Bye 2022. C’est Julie Perreault qui a intégré la peau de Johane Despins alors que Bruno Blanchet a caricaturé Denis Gagné. À prime abord, Johane Despins dit en souriant qu’elle ne savait pas qu’ils avaient cette reconnaissance publique permettant aux gens d’avoir une référence. « Au départ, c’est une fleur fantastique. Après, on grimace en se disant » My God! Est-ce que j’ai vraiment l’air de ça? ». Elle s’est dite fascinée par cette observation « fine et tellement précise de tous nos petits travers. » 

L’émission L’Épicerie analyse chaque semaine les aliments de tous les jours et informe de l’économie, du marketing et de la culture de l’alimentation ayant pour cible le plaisir, le bien-être et la santé des consommateurs.