Les défis de la presse régionale

Benoît Chartier est éditeur depuis 25 ans pour des hebdomadaires de la Montérégie. Il est également président de l’organisation à but non lucratif Hebdos Québec, qui promeut la presse locale indépendante, la soutient dans son développement et concerte ses actions.

Quelle importance les hebdos locaux ont-ils dans leurs communautés?

C’est un rôle primordial à la survie et au bien moral et économique de la communauté. Le journal local fait en sorte que la démocratie règne solidement au sein de sa communauté. Sans média local, sans hebdo, on oublie notre démocratie en santé. On oublie aussi un rôle primordial que joue l’hebdo, qui est un peu le pôle central des débats et des questionnements que peut se poser une région ou une communauté pour le présent et le futur. Je pourrais même dire pour le passé, parce que l’hebdomadaire a aussi écrit l’histoire de la ville dans le passé.

« On n’est plus capables de générer nos revenus par la publicité. »

Qu’est-ce qui a changé au cours des 20 dernières années pour le secteur des hebdomadaires?

Ç’a beaucoup changé dans les sept à dix dernières années. Il y a 20 ans, c’était business as usual, soit de coucher des nouvelles sur du papier avec de l’encre et de mettre des publicités à côté pour attirer l’œil des lecteurs sur les publicités et distribuer ça de porte à porte. C’était le modèle d’affaires de bien des journaux dans le monde entier. Depuis 2009-2010, avec l’arrivée de Facebook et de Google, avec la publicité en ligne, le portrait a changé bout pour bout. Aujourd’hui, tout le monde peut devenir un peu un pourvoyeur de nouvelles. Avant 2010, on avait un réseau bien précis, où le lecteur se donnait des silos très précis, où des nouvelles passaient. Ces nouvelles étaient authentifiées, approuvées et vérifiées avec rigueur et professionnalisme, et on ne pouvait jamais douter de tout ça. La nouvelle était différente selon les silos, mais tous avaient une bonne rigueur. Arrivent Facebook, les réseaux sociaux et Google, et tout ça a éclaté; tout le monde écrit n’importe quoi et n’importe où. Ça fait en sorte que notre modèle d’affaires a été mis à dure épreuve. La publicité a bifurqué vers les réseaux sociaux, les blogs sont arrivés, les influenceurs également. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le commun des mortels peut aller chercher son information n’importe où. Mais il reste la force des journaux, la force des hebdos et notre crédibilité, qui est associée au fait que l’on travaille avec une tradition liée à notre modèle d’affaires, soit que les nouvelles écrites l’étaient par des journalistes crédibles, approuvés, qui accomplissent un travail de rigueur.

À quel défi faites-vous face aujourd’hui?

Notre défi, c’est que l’on n’est plus capables de générer nos revenus par la publicité, parce qu’elle est toute diffusée et éclatée sur Internet. On ne peut pas en vouloir aux grands annonceurs :Internet a fait chuter les prix liés à la publicité. Il faut que l’on essaie de garder nos revenus, qui ne sont plus comme avant, et de faire en sorte qu’ils ne baissent pas trop vite afin de les remplacer par d’autres sources de revenus, d’où l’État, qui est une source de nos revenus. L’État se dit que s’il n’y a plus de sources d’information crédibles, c’est notre société qui est en jeu. Il faut se le dire : la presse écrite, c’est le quatrième pouvoir des piliers de la démocratie. Il y a aussi le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Notre pilier est intangible; il n’est pas clair comme les trois autres, mais il est obligatoire parce que sinon, plus rien ne tient. Les paliers provincial et municipal ont compris ça et ils subventionnent les emplois des journalistes. Ça prend ça, parce que l’on n’a pas le choix et l’on n’a pas de revenus publicitaires pour payer les emplois des journalistes. La population aussi a compris ça, parce que l’on n’en veut pas, de déserts médiatiques.