Les médias locaux dans l’œil de Jean-Hugues Roy
Jean-Hugues Roy est professeur de journalisme à l’Université du Québec à Montréal depuis 2011, où il a également été chargé de cours à partir de 2008. Journaliste ayant notamment travaillé pour Radio-Canada pendant quinze ans, mais également au magazine Voir et au magazine Le Trente, il s’est spécialisé dans l’étude des médias et du monde médiatique, à propos duquel il effectue des recherches multiples. Entrevue avec cet expert des communications sur la manière dont le milieu médiatique local au Québec a évolué depuis 20 ans, et sur l’avenir que pourrait avoir ce secteur avec les différents changements qu’il subit.
Qu’est-ce qui a changé dans les dernières années pour les médias locaux au Québec?
Dans les dernières années, il y a entre autres eu beaucoup de départs à la retraite, mais je pense que les pouvoir publics ont compris l’importance de l’information et ils mettent de l’argent là-dedans.
Je fais une étude présentement sur les Coops de l’information, les journaux de Capitales médias de Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke et ainsi de suite, qui ont fait faillite en 2019 et qui ont redémarré sous forme de coopérative. L’importance de l’information régionale est au cœur de cette étude. Les pouvoirs publics se sont rendu compte que l’information c’est important et pas seulement pour sauver La Presse et les plus gros. Des programmes de crédits d’impôt ont été créés et c’est beaucoup pour soutenir l’information locale.
Quelle est l’importance des médias locaux dans les communautés en 2021?
On peut se poser la question: si le Journal de Chambly disparaît, est-ce que c’est si grave que ça? On est quand même dans la grande région de Montréal, les médias de Montréal peuvent raconter ce qui se passe à Chambly. Il y a également d’autres médias comme la radio communautaire et d’autres journaux, donc c’est intéressant de se demander pourquoi c’est important.
Dans certains cas, les médias locaux sont là depuis des générations, mais dans d’autres cas où le journal a plusieurs décennies, comme le Journal de Chambly, les lecteurs sont tout de même là pour vous lire, ils vous recherchent et vous attendent. Ces journaux sont devenus des institutions et en dépit de la présence d’autres médias, chaque média a sa voix, apporte son regard distinctif sur ce qui se passe dans son coin de pays.
Chaque disparition d’un média local fait mal. C’est comme un gradateur: on diminue l’éclairage sur une région donnée. Si vous cessez par exemple de suivre les séances du conseil municipal de villes comme Chambly ou Carignan, il n’y a plus personne qui va raconter ce qui se passe dans ces villes-là. Des études montrent bien ce qui se passe quand des médias locaux disparaissent. Si le Journal de Chambly disparaît, on ne sait pas ce qui se passe et qu’on ne pourra plus nous apprendre. À ce moment-là, la corruption peut se développer, les taxes peuvent grimper, les élus peuvent donner libre cours à leurs plus bas instincts. Et même si les assemblées sont publiques, il n’y en a pas tant que ça du public et dans certains conseils où tous les élus sont du même côté, le potentiel d’abus est beaucoup plus grand. Alors, c’est ça l’importance de l’information locale.
Est-ce que l’importance des hebdomadaires locaux est la même aujourd’hui qu’il y a 20 ans?
Il y avait plus d’hebdomadaires locaux il y a peut-être 10 ou 20 ans, mais c’était particulier parce qu’il y avait une concurrence très serrée entre Québecor et Transcontinental pour les marchés publicitaires locaux. Mais on ne voit plus ça. Depuis une dizaine ou une quinzaine d’années, il y a de moins en moins d’argent à faire avec de l’information. On assiste donc au Québec à une déconcentration de la presse.
La concentration des médias a été une préoccupation pour une bonne partie du 20e siècle et au début du 21e siècle, mais ce n’est plus ça du tout qui se passe. Les grandes entreprises qui possédaient des médias s’en défont, elles les vendent. Transcontinental n’a plus de médias au Québec. Power Corporation, qui avait sept quotidiens, n’en a plus aucun aujourd’hui. Les seuls grands groupes de presse qui subsistent c’est Québecor, Bell et Cogeco. Même Rogers au Québec avait L’actualité et ne l’a plus. Dans l’information locale, on a donc assisté à l’émergence d’un paquet de petits joueurs. Chacun de ces groupes-là sont fragiles. Ils se maintiennent et dépendent beaucoup de la publicité.
Mais la publicité avec Google et Facebook dans le paysage fait que c’est de moins en moins facile de faire ses frais en faisant de l’information. Oui, les crédits d’impôt des gouvernements ont permis de pallier une partie de la diminution des revenus publicitaires, mais il faut que le gouvernement en fasse plus à mon avis. L’information répond à un besoin essentiel, à un besoin primaire de tout être humain de savoir ce qui se passe autour de lui. Les médias répondent en partie à ce besoin là.
Les humains satisfont également en partie à ce besoin en allant sur Facebook, sur les médias sociaux. Eux font de l’argent avec notre soif de savoir ce qui se passe autour de nous, mais avec du contenu pour lequel ils ne paient pas.
Quelle est la solution pour assurer l’avenir des publications locales?
Je pense qu’il y a des revenus à aller chercher auprès de Facebook et c’est ce qu’on attend, surtout du côté du gouvernement fédéral. On attend toujours un projet de loi pour que les géants du web versent des redevances ou participent au financement de l’information au Canada.
Je pense que cette méthode seule ne va pas payer et faire vivre les médias, mais en ajoutant à un peu de publicité, de crédits d’impôt et aussi un peu de philantropie, de dons et d’abonnements, ça fait cinq sources de financement et je pense que c’est ça qui va faire que les médias locaux vont être capables d’exister.
Car la publicité n’ira pas en augmentant. L’année 2021 a fait en sorte qu’il y a eu beaucoup de publicité gouvernementale sur la COVID et ça a dopé les états financiers de bien des médias, mais ça ne durera pas. J’ai peur que la publicité diminue à un point tel que certains médias soient forcés de disparaître.
C’est un milieu fragile et le modèle d’affaires est un ensemble de variables qui sont importantes. Si l’une des variables diminue, ça peut faire la différence entre être dans le rouge ou dans le vert.
Une sorte de publicité qui est de plus en plus utilisée est la publicité native. Ça inquiète les journalistes beaucoup. Les lecteurs regardent ça et se disent : quand est-ce que ce que je lis s’adresse vraiment à moi, qu’on est vraiment à mon service? On me raconte vraiment les faits, l’information et dans d’autres cas, on essaie de me vendre quelque chose. C’est pas tout le monde qui est capable de faire la différence. Je comprends qu’on ait recours à la publicité native maintenant pour aller chercher d’autres revenus, mais c’est un peu se tirer dans le pied que de monayer notre crédibilité comme ça et de tomber dans les contenus commandités. Ça peut mettre à mal la confiance que le public a envers notre travail.
Est-ce que le format papier pourrait être remplacé seulement pour des versions web?
Comme quelqu’un m’a déjà dit, une publicité imprimée, c’est une publicité que Facebook ne peut pas te voler! Mais en même temps, si tout le monde est sur le web, quelle est la différence entre tous les médias qui sont sur le web?C’est là que le public va peut-être se dire « un instant : si je m’informe juste sur le web, il y a peut-être trop de joueurs » . J’ai besoin parfois d’être informé à la radio lorsque je suis en voiture, ou encore par la télévision quand je fais du channel surfing. Et des fois, le papier, ça demeure une technologie.Il y a encore un certain lectorat et tant et aussi longtemps qu’il y aura des gens qui ont cette habitude de lire un journal papier, il y aura des gens qui ont besoin du papier. Ce qui est certain, c’est que les gens qui lisent leur journal local font bien de le faire et doivent continuer!