Vivre avec une stomie
La femme d’affaires et thérapeute chamblyenne Caroline Dufour-Jean témoigne de la réalité d’une personne vivant avec une stomie. Elle nous confie les épreuves particulières de sa vie qui l’ont conduite à fonder son propre centre de stomothérapie.
« Les stomies, en gros, c’est un orifice qui n’est pas naturel », explique Caroline Dufour-Jean, thérapeute spécialisée en relations humaines et fondatrice du Centre de stomothérapie du Québec à Longueuil. « Là, on va parler de stomies digestives. Parce qu’il en existe d’autres, comme la trachéostomie. » La thérapeute poursuit en précisant les trois types de stomies digestives : l’urostomie, l’iléostomie et la colostomie. La première permet l’évacuation de l’urine, les autres permettent l’évacuation de matières fécales. L’urostomie est généralement permanente, alors que les autres types de stomies peuvent être temporaires.
Selon les dernières statistiques de la RAMQ, 11 939 individus vivent avec une stomie permanente au Québec. Selon Mme Dufour-Jean, ce chiffre s’élèverait plutôt aux alentours de 35 000 personnes si l’on prend en compte les stomies temporaires et celles qui ne sont pas comptabilisées par la RAMQ.
Les causes
« Le cancer, c’est l’une des premières causes », nous informe Mme Dufour-Jean. « Mais, ce que l’on voit de plus en plus chez les jeunes, maintenant, c’est tout ce qui a rapport aux maladies inflammatoires de l’intestin, comme la maladie de Crohn. » Elle nous explique que cette hausse de cas liés à des maladies inflammatoires possède un lien très important avec l’anxiété et le stress.
Même si l’alimentation joue un rôle crucial sur la santé intestinale, la thérapeute insiste sur le fait que « les émotions sont non négligeables ». Elle affirme également que de nombreuses études mettent en évidence la corrélation entre des expériences traumatiques et l’apparition d’une maladie inflammatoire de l’intestin, comme le lui a expliqué l’un de ses collaborateurs, un gastro-entérologue. Une part significative de sa pratique en tant que thérapeute au Centre de stomothérapie du Québec consiste à prendre en charge les blessures émotionnelles passées de ses clients.
« Vivre avec une stomie, c’est faire le deuil d’une partie de ton anatomie. » – Caroline Dufour-Jean
Parcours de vie
L’année de ses 16 ans, Mme Dufour-Jean reçoit un diagnostic de colite ulcéreuse. « J’ai vécu des agressions sexuelles de l’âge de 5 à 7 ans. Ma première relation amoureuse, à l’âge de 16 ans, a déclenché des souvenirs. L’intestin a réagi avec une colite », témoigne-t-elle.
À compter de ce moment, Mme Dufour-Jean est très malade. « Je devais porter des couches-culottes, je pouvais à peine sortir. Je perdais connaissance de douleur, c’était comme avoir des lames de rasoir dans l’intestin. » À l’âge de 30 ans, un deuxième diagnostic lui tombe dessus : un cancer ovarien en phase terminale. « On me donnait trois mois à vivre », raconte-t-elle.
Guérie de façon inexplicable, elle tombe ensuite enceinte malgré sa stérilité déclarée à la suite de sa chimiothérapie. « Les miracles, ça existe », soutient-elle. « Je ne pouvais pas prendre de médication pour ma colite pendant ma grossesse, je savais que ça allait détruire mon intestin », mais elle préfère prendre le risque, sa priorité étant de mettre son deuxième enfant au monde.
En 2006, elle doit se faire opérer pour une iléostomie permanente. « Après l’opération, je savais [que] je voulais aider les gens à passer à travers cette condition-là et les tabous qui l’entourent. Quand je suis sortie de l’hôpital, on m’a donné deux sacs transparents en me disant » Débrouille-toi avec ça! « . » Elle se désole du manque de soutien auquel les personnes stomisées doivent faire face au Québec.
Centre de stomothérapie du Québec
En 2009, elle ouvre le Centre de stomothérapie du Québec, où elle bâtit une équipe d’intervenants pour offrir un soutien complet à ses clients. « Vivre avec une stomie, c’est faire le deuil d’une partie de ton anatomie et d’une façon de vivre ta vie. Pour moi, ç’a été une renaissance, mais pour d’autres, c’est drastique. D’où le besoin d’un accompagnement psychologique. »
Au centre, elle collabore avec différents professionnels de la santé, comme des infirmières, des sexologues et des nutritionnistes. Une boutique de produits pour personnes stomisées s’y retrouve aussi. Notamment, elle développe la collection Anne Charlotte de vêtements intimes adaptés pour couvrir l’appareillage et encourager le maintien d’une vie sexuelle sans inconfort.
Couverture de la RAMQ
À ce jour, les personnes stomisées luttent encore pour obtenir la couverture totale par la RAMQ des frais liés à leurs appareils et produits de stomie. « On est une des seules provinces à ne pas rembourser en totalité. Ils disent que ce n’est pas vital comme besoin », rapporte Mme Dufour-Jean. Elle se désole et relève l’absurdité de l’argument : « Me verriez-vous sans appareillage? Comment voudriez-vous que j’aille travailler si j’étais toujours sale? »
L’allocation annuelle pour les personnes stomisées de façon permanente est de 1354 $. « Moi, ça me coûte entre 2000 $ et 2500 $ par année », témoigne la Chamblyenne. « Il y a des gens qui n’ont pas les moyens pour changer leur appareillage régulièrement. Ça peut créer des problèmes de peau [et d’autres complications]. »
Déconstruire le tabou
La sensibilisation de la population est aussi une mission que Mme Dufour-Jean se donne. Pour s’attaquer au tabou, elle souhaite d’abord démystifier certains préjugés. « Ce n’est pas vrai que l’on pue! » L’hygiène des personnes stomisées n’est pas un enjeu dans la mesure où celle-ci est traitée avec soin, comme pour toute autre personne. Selon la thérapeute, cette lutte doit se mener par l’acceptation de soi et l’ouverture d’un dialogue social.